D’une certaine vision de la sagasphère

Il y a sans doute une façon de concevoir la sagasphère par personne s’y intéressant. Et encore, chacune de ces personnes aura peut être une vision floue qui variera en fonction des contextes. Pour ma part, je cultive une certaine conception de la façon dont les projets sont conduits au sein de la sagasphère. Une partie de cette vision est issue d’une discussion à laquelle j’avais participée sur le forum de la communauté de Thurm et de l’expérience que j’ai acquise au cours de mes pérégrinations au sein de la sagasphère sur plusieurs années. Plusieurs années qu’il m’aura aussi fallu pour me décider que cette vision était réaliste dans le contexte des sagas mp3.

Je suis un libriste convaincu. Pas forcément totalement sur l’aspect logiciel mais plutôt du côté de l’échange de données et pour le partage du savoir. Parce qu’il me semble que par dessus tout, les idées n’appartiennent à personne et que vos données, ce que vous créez, ce que vous possédez doit pouvoir circuler avec un minimum de contrainte. Que certains aspects techniques avantageux puissent parfois être contraignants est acceptable mais il ne faudrait pas qu’un quelconque autre critère entrave cette circulation des idées. Voilà une des principales notions du librisme.
Et c’est une vision que l’on retrouve dans la sagasphère. Même si cela est nettement plus visible depuis l’apparition de Netophonix et de son forum entièrement consacré à toutes ces recettes, il y a toujours eu un échange facile et ouvert autour des sagas mp3. Beaucoup de créateurs, s’ils ne publient pas forcément toutes ces informations sur leur site, ne rechignent pas à expliquer quelle technique ils ont utilisé à tel endroit d’un épisode, quelle a été la meilleure technique pour un certain effet, à discuter d’un point de scénario avec un auditeur, etc. Et de la même façon, ce ne sont pas des projets de logiciels de montage/enregistrement/mixage qui sont échangés entre un créateur et les personnes avec qui il travaille mais des fichiers utilisant des formats plus simples mais surtout plus ouverts. Ce n’est pas tant par militantisme que pour l’aspect pratique (besoin d’échanger entre de nombreux logiciels différents, peu de moyens pour choisir une solution payante, multi-plateforme, etc.) mais au moins, le résultat est là. Et je doute que tous ces acteurs seraient prêts à revenir en arrière. C’est de cette façon que la sagasphère avance depuis 10 ans. C’est la façon par laquelle chacun peut apprendre à créer une saga mp3. C’est à la fois une façon d’être qui découle de l’amateurisme ambiant et des choix qui ont été faits par les premiers rassemblements de créateurs précurseurs du genre.
On pourrait aussi rapprocher tout cela de la façon dont les épisodes ou monos sont distribués mais je ne suis pas sûr que cela soit le cas dans la pratique. Ce que je constate depuis plusieurs années, c’est que tous ces fichiers sont mis en ligne sans la moindre connaissance des notions de droit d’auteur ou de partage libre. Ou sans le moindre intérêt pour ces idées le plus souvent. Il y a bien quelques exceptions mais ce sont des cas assez peu nombreux au final.

Le pendant de cette vision sur l’échange des données concerne la façon dont les projets sont menés dans la sagasphère. Ici, il s’agit tout de suite d’une considération beaucoup plus personnelle des choses, la gestion de projet n’étant pas forcément un truc très représentatif de la sagasphère. Mais il existe quelques projets suffisamment importants pour s’en rapprocher et quelques sagas se créent parfois avec des idées proches.
Nous sommes donc dans un univers collaboratif où peuvent se constituer des équipes pour travailler sur un projet commun. J’apprécie le rôle d’un chef de projet capable de motiver son équipe, de la sortir d’une impasse par la prise d’une décision malgré les dissensions ou de la représenter lorsqu’il s’agit d’endiguer l’ire de quelques uns. Mais, et c’est là que réapparaît cette vision « libre » des choses, ce n’est pas celui qui est le moteur du projet. Pour moi, la vie d’un projet communautaire vient de l’équipe qui la constitue. Chacun de ses membres, sur un pied d’égalité, participe aux réflexions et prises de décision. Cela correspond bien à la sagasphère parce que nous sommes une communauté de passionnés et qu’il nous arrive souvent, en fonction de l’évolution de notre temps libre, d’être absents ou de ne pas pouvoir participer activement. Ainsi, la répartition du pouvoir évolue toujours en fonction des personnes présentes et suit aisément le système de méritocratie qui animé la majorité des communautés virtuelles.
Cette façon de penser et d’organiser les choses est cependant moins facile à mettre en place qu’il ne paraît. Outre le fait que certaines personnes sont plus dirigistes que d’autres, ce système a tendance à souffrir beaucoup plus facilement d’un manque d’une personnalité forte ou d’une volonté commune forte. Le webzine MagP3 est probablement le plus bel exemple sagasphérique de tout ce qui peut foirer avec ce genre de système : des tensions qui ont suivi une sensibilité exacerbée et un dirigisme parfois perçu comme déplacé avec des répercussions se traînant sur plusieurs mois et visibles sur de nombreux espaces publics au manque global et presque effarant de volonté de ses animateurs… Malgré tout, cette façon de se concerter me semble être efficace si la communication interne est correctement appliquée. Sur internet, la communication asynchrone reste reine et ce modèle est celui qui m’y semble le plus adapté.

Comme je le disais en introduction à ce billet, ces deux idées majeures découlent de mon expérience et de certaines de mes envies. Je serai donc ravi de recueillir vos avis à ce sujet. Est-ce que tout cela vous semble réaliste? Est-ce que dans les faits vous avez constaté des choses différentes? Bref, essayons de comprendre un comment fonctionne la sagasphère.

3 thoughts on “D’une certaine vision de la sagasphère

  1. "C'est à la fois une façon d'être qui découle de l'amateurisme ambiant et des choix qui ont été faits par les premiers rassemblements de créateurs précurseurs du genre."

    C'est le seul petit truc qui me fait tiquer, et la question la plus intéressante pour moi. Je n'aime pas trop l'idée de précurseurs ayant décidé, le cœur débordant d'amour et d'arcs-en-ciel, d'ouvrir au commun des mortels le monde jusqu'ici uniquement semi-pro et plein de techniques privées de l'édition sonore. Ce que je veux dire, c'est que c'est le processus de création commercial qui est un choix s'opposant à la norme, pas la création ouverte; le mode de fonctionnement libriste (dans le cadre d'une créativité désintéressée) est normal. Je déteste l'idée d'une caste de bienveillants concepteurs justiciers libérant le commun des mortels et sans qui les gens seraient incapables de quoi que ce soit.

    Okay, les logiciels libres proviennent avant tout de l'altruisme et du travail acharné de personnes idéalistes. Les plate-formes comme le Netophonix, c'est des petits groupes (changeants) du même type de gens. Qu'ils soient mille fois bénis. Mais c'est surtout le déplacement sur internet de pratiques normales. A part dans le cadre de l'industrie des produits culturels, tout le monde se fout de la propriété intellectuelle*; tout le monde souhaite partager ses techniques; personne ne cherche à établir conventionnellement des hiérarchies rigides. Je ne vois pas trop où est le choix idéologique.
    Audacity, la nébuleuse Netophonixienne, Synops, les channels de ces deux dernières, Celtx, Macp3, etc. tout ça c'est un cadre, qui, sur la base du librisme qui baigne le web, se trouve être gratuit, donc apprécié et recherché. Des gens viennent s'y nicher par envie naturelle de partager ce qu'ils font déjà. Et une fois là, ils continuent à agir normalement comme décrit plus haut. Ce n'est pas les précurseurs qui leur insufflent le librisme, pas plus que les maçons qui ont construit l'endroit où tu vis ne t'ont appris à t'abriter plutôt que de rester debout sous la pluie les bras ballants.

    Bon, je ne suis pas sûr que tu défende le point de vue contre lequel je me place… Tu mentionne juste les deux visions opposées en fait : "Ce n'est pas tant par militantisme que pour l'aspect pratique". Mais tu rajoutes un "mais" : "au moins le résultat est là", comme si il était dommage que tous ceux qui privilégient un fonctionnement ouvert et permissif ne se réclament pas de ta chapelle :p
    Je ne dis pas que c'est ton cas mais souvent les libristes sont puristes et sont un peu contrariés que les gens adoptent leurs idées spontanément, dans l'ignorance, mais sans le formuler (et sans leur cohérence, cf l'ancestral "j'utilise ce que bon me semble sans demander, du moment que personne ne se plaint").

    A part ça ta vision me plait et me paraît correspondre à la réalité. Je reconnais dans la deuxième partie la façon dont on m'a laissé m'occuper du calendrier cette année.

    ____________________________

    * Ce qui, pour moi, revient à être favorable aux licences libres : ne pas accorder d'importance au fait que d'autres disposent sans grandes contraintes de ta création, donc implicitement leur accorder les droits qui vont avec une licence libre plus ou moins permissive. Quand tu dis "sans le moindre intérêt pour ces idées", c'est avant tout parce que c'est vécu comme superflu je pense (moi je le prend comme ça : pas besoin d'un label, je sais que je n'irai pas faire chier ceux qui utiliserait mes créations, ça suffit.)

  2. En fait, j'étais parti en me disant « Je vais faire une belle réponse à Schnouk ». Puis en fait, je t'ai lu, bien relu et je me dis que finalement, je ne peux pas répondre à ce que tu dis. Tu me remets en place sur une partie de ma réflexion et tu le fais très bien. Donc… Merci ? 🙂

  3. Tiens, ton tweet m'a ramené sur cet article que je n'avais pas lu… C'aurait été dommage !

    Je ne trouve rien à redire, si ce n'est que ton point de vue ajouté à celui de Shnouk sont une description et une analyse de la sagasphère comme je la ressens également.
    Je ne vois pas et surtout je n'espère pas un virement total de la sagasphère en dehors du librisme : ça serait d'ailleurs assez impensable, par exemple de dire "si tu veux régler ton deeser, t'apprends en cherchant ailleurs" car cet "ailleurs" pour apprendre – créer – discuter me semble être la définition à la source de Netophonix (il en est de même pour les autres communautés, Synops etc.)

    Voilà voilà…

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